Partout où se posait le regard, l'horizon était fermement délimité par les collines et les hauts palais qui semblaient toiser Bacchide avec arrogance et ironie. "Rapide est la chute" semblaient dire les orgueilleux frontons qui miraient l'errant du haut de leurs promontoires aristocratiques, à plusieurs centaines de mètres en amont de la cuvette populeuse où Bacchide avait échoué.
Ah ! L'époque où il était la coqueluche de ces Honestiores ! Les temps où les matrones de l'aristocratie lui mangeaient dans la main (et ailleurs...) ! Les douces journées où la Cour impériale et Léonce lui-même ne juraient que par ce jeune Talin au verbe haut et aux relations bien utiles avec les cités-états du Ponant ! Tout cela était bel et bien révolu, la situation présente de Bacchide ne pouvait le signifier plus clairement.
Envolé, son palais près du forum d'Urinien ! Ruiné, son latifundium en Atropatène ! Mais, et Bacchide ne le réalisait que trop bien, sa chute était entièrement de son fait: il était sa propre Némésis, il s'était fait lui-même l'Ubris des dieux qui frappe le héros arrogant, comme il l'avait lu, enfant, dans les Vies Perpendiculaires de Platurque.
C'était son orgueil, celui qui frappe un jour ou l'autre tous les parvenus, qui avait précipité son exil de la Cour. Et c'était son exil de la Cour qui avait lâché la bride à ses innombrables créanciers. Grevé de dettes colossales, Bacchide n'avait eu d'autre choix que de fuir la Capitale. Il avait été assez chanceux pour trouver un office à l'Etat-major du Protostrator Matthieu Spendios, espérant se racheter au cours de la glorieuse campagne qui s’annonçait. La suite est connue…
Et là, de retour à Conspantinotle, mais si loin des avenues qu’il avait un jour foulé, Bacchide se prenait à regretter le palais du Calife, cette étrange prison où les menaces des geôliers se perdaient dans un océan de plaisir et de mollesse dorée.
Le bruit et l’odeur arrachèrent brutalement Bacchide à ses doux souvenirs. Il réalisa combien il était déplacé dans ce quartier effrayant où il avait abouti : sa noble tenue de voyage (commandés au tailleur du Vizir avant son départ) le désignaient à l’attention de la méchante tourbe qui composait l’habitat de cette partie de la ville délabrée et infecte. Déjà des croquants à l’œil malveillant et goguenard s’approchaient du malheureux Talin, espérant bien recevoir quelque aumône, volontaire ou forcée. Mais le malheur était justement que Bacchide n’avait plus un sou vaillant en poche ! Il avait dépensé ses derniers Nomisma pour louer une chambre misérable dans un immeuble branlant.
Bacchide sentit une goutte de sueur froide couler le long de sa nuque. La canaille se rapprochait, et il était vain d’attendre l’aide de quelque chiourme dans cette partie de la ville… Il lui fallait trouver quelque chose, et vite !