- Mais non, vous ne comprenez pas… Des événements d’une importance importantissime sont en train d’arriver, là bas, à Conspantinotle. La situation va changer, et très vite, Rachid Al-Fatwa !
Bacchide tremble un peu de l’audace avec laquelle il s’adresse au Vizir, mais la vérité est qu’il n’a pas de temps à perdre, et que sa stratégie est sur le point de fonctionner. Contre ces infidèles abrutis de chanvre, rien ne sert mieux qu’un homme qui se porte résolument en avant, la tête haute et le verbe pressant.
Et, à vrai dire, Bacchide n’a aussi plus rien à perdre. Voilà trois ans qu’il est tombé aux mains des infidèles, lors qu’il tentait de traverser le Saleph, après l’effroyable désastre de Potidée, qui vit la défaite totale des armées moraines.
Et voilà trois ans qu’il est devenu le principal conseiller en affaires bytanzines du Grand Vizir Al-Fatwa. Mais les égards que lui accordent le vieillard ne grisent pas Bacchide : il n’oublie pas qu’il reste un prisonnier, un dhimmi sans aucune situation.
Quand Bacchide apprit ce qui se tramait à Conspantinotle, il comprit qu’il était temps pour lui d’agir. Bille en tête, il alla voir le Vizir, et c’est à leur discussion que nous assistons à présent.
Bacchide reprend :
- Un nouveau Basileus est monté sur le trône. Ces dernières années, le Califat a perdu tous ses amis à la Cour impériale ; laissez-moi y aller ; je m’assurerai de défendre en toutes occasions les intérêts du Calife. Si l’Autocrate est belliqueux, je dirigerai ses efforts vers l’ouest ; le Califat ne craindra aucune invasion. Si, au contraire, le nouveau Kyrios est lâche et faible, je m’emploierai à livrer forteresses et villes frontalières à Sa Sublime Splendeur le Calife.
Le sénescent Vizir esquisse un geste tremblant, puis finit par articuler quelques mots chevrotants mais non moins déterminés :
- Ce sont bien là les Roumis… Soit, va donc à Conspantinotle, mais n’oublie pas qui sont tes bienfaiteurs.
Une fois que Bacchide eut remercié servilement et se soit retiré, un conseiller à la mine sinistre se surgit de la pénombre ; il se penche à l’oreille du Vizir et demande :
- Croyez vous vraiment qu’il fasse ce qu’il a promit ?
Le Vizir, d’un ton las, mais avec un sourire aux lèvres, répond :
- Bien sur que non, mais sa seule présence à Conspantinotle créera un dawa de tous les diables. Comme dit le Prophète, il est bon que les serpents se mordent entre eux.
Les deux hommes éclatent d’un ricanement sec et rusé, propre aux Infidèles sournois et malins.